Nous sommes au Day 3 de l’EPT Barcelone et il reste encore environ 200 joueurs sur les 1500 du départ. Mon collègue reporter «on-n’a-pas-le-même-maillot-mais-on-a-la-même-passion» Tapis-Volant et moi faisons un état des lieux des survivants. Et voici (pas)exactement ce que l’on s’est dit :
– «Tu n’as pas repéré tous les Français restants. me fait-il remarquer
– Non, pas tous.
– C’est important de s’y intéresser, c’est eux qui nous permettent de nous identifier.
– Sûrement. Mais avec toutes les stars qui sont également encore là, je pense qu’elles sont plus importantes que les quelques Français malheureusement encore inconnus que j’ai oubliés.
– Oui, mais certains participent à leur tout premier EPT, c’est symbolique. Et tes joueurs étrangers ont déjà plus de 8 millions de gains.
– Tu ne préfères pas avoir des news de Roger Federer que de Nicolas Mahut à l’Open d’Australie ?
– Mauvais exemple : je suis fan de Federer.
– Justement. Tu viens de prouver que nos deux opinions sont différentes mais tout de même justes l’une et l’autre.»
Lors d’un Unibet Open à St-Martin, Copenhague, Riga, Troia, Tallinn ou Prague, il est évident que l’on va s’intéresser aux joueurs français, largement minoritaires par rapport au reste du field.
Lors d’un BPT, FPS ou d’un Unibet DSO à Cannes, Deauville ou Paris, le field va être quasi exclusivement français et la question ne se pose donc toujours pas.
Mais lors d’un tournoi majeur programmé sur 7 jours et ayant réuni un millier de joueurs à plus de 5000€ de buy-in ? On y retrouve quelques joueurs Français, pas mal de Stars du GPI et une immense majorité de joueurs étrangers «inconnus». Alors mieux vaut-il mettre l’accent sur le parcours de tous les Français (connus et méconnus) ou plutôt panacher avec celui des gros sharks étrangers ?
Il est certain que la 3ème place d’Antoine Saout au WSOP Main Event en 2009 a fait rêver tous les joueurs français. Non seulement on s’y est identifié parce qu’Antoine était le « Guy Next Door » (dans le bon sens du terme) mais en plus il nous a fait fantasmer parce que tout le monde aurait voulu faire fold les Valets de Phil Ivey grâce à une paire de Sept en table finale. Le jeune Breton avait alors accompli ce que tous les joueurs du monde espèrent réussir tous les ans.
En 2011, lorsque Steven Moreau atteint la 14ème place du WSOPE Main Event, toute la communauté française l’a suivi et l’a salué. Steven est également une personne simple à laquelle on peut largement s’identifier. Il venait de faire naître d’autres rêves, ceux-ci réalisables sur notre territoire et donc plus près de nous.
L’année suivante, c’est Lucille Cailly qui émeut tout le monde avec sa 2ème place à Monte-Carlo.
De tels exemples seraient nombreux avec Aubin Cazals, Elie Payan et Hugo Pingray aux WSOP, Paul Guichard et Rémi Castaignon à l’EPT Deauville, Ludovic Lacay à l’EPT San Remo, Quentin Lecomte à l’UO Cannes…
Pour aller un peu plus dans ce sens, la victoire de Yorane Kérignard au WPT Malte en 2012 est passée quasi inaperçue alors qu’il est l’auteur régulier de performances hallucinantes depuis 2010.
Et les oublis immérités de ce type sont nombreux.
Mais est-ce qu’il faut et il suffit d’être Français pour que l’on soit par défaut immédiatement dans la lumière ?
Pour illustrer ce propos, je vais tenter de me remettre dans la peau du passionné de tennis que j’étais.
Contrairement aux sports d’équipes, on a ici le «droit» de ne pas être pour «l’Equipe de France», quelle qu’elle soit. J’aurais bien voulu être fan des joueurs habillés à l’époque en Lacoste mais aucun d’eux ne me faisaient malheureusement vibrer.
En 1984, Noah remporte Roland-Garros mais je n’ai que 5 ans, donc trop jeune !
En 1989, Henri Lecomte arrive en finale de Roland-Garros mais je suis loin d’être fan. Oui ça aurait été bien pour l’Histoire du sport français mais ma satisfaction personnelle n’en a que faire. Je voulais que les records pètent les uns après les autres.
En 1993 à l’US Open, juste avant la finale opposant Cédric Pioline à Pete Sampras, le Français déclare en conférence de presse que l’Américain aura du souci à se faire rapport à sa première balle de service. Le jeune «One-Timer» provoque l’un des meilleurs tennisman de tous les temps et je suis justement à fond pour le champion du monde. Trois sets à zéro plus tard, le jeune Pioline peut remballer son arrogance et prendre exemple sur la discrétion et la classe de Sampras. Il manquera encore d’avantage sa revanche en finale de Wimbledon en 1997 contre un Sampras qui entrait un peu plus dans l’Histoire alors que Pioline s’enfermait un peu plus dans le statut «d’Espoir».
Pire encore en 1991, l’Equipe de France affronte Agassi et Sampras en finale de Coupe Davis. Alors oui, bien sûr, je suis ému en revoyant les images de la victoire de la France, mais j’étais loin de danser Saga Africa en direct devant ma télé comme eux le faisaient sur le court. J’étais pour les méchants Américains.
Lorsque Tsonga ou Monfils ont le sentiment d’avoir gagné le tournoi (du Grand Chelem) après seulement avoir battu un joueur du Top4 en quart de finale – alors qu’il faut en battre au moins deux pour aller au bout – je me dis qu’ils n’ont pas la mentalité d’un champion et je veux pas leur ressembler. Plus discrets, Nadal, Djokovic et Federer ont le fighting-spirit qu’un champion doit avoir.
En conclusion, je préfère avoir des nouvelles des 3 étrangers que de tous les Français réunis.
Au football, c’est bien Zlatan qui fait vendre des maillots au PSG ou Neymar à Barcelone. Ce sont bien les Stars qui permettent de s’intéresser à la discipline. Et ce sont bien elles qui créent les Fanboys qui seront à leur tour des observateurs à la fidélité sans faille.
En 1998, le bracelet WSOP de Patrick Bruel a prévenu la France que des championnats du monde de poker existaient et qu’il ne nécessitait pas d’avoir un chapeau de cow-boy pour y jouer. Et c’est bien parce qu’il s’agissait d’une star crédible aux yeux des Français que la nouvelle avait traversé l’Atlantique.
Est-ce que lorsqu’ElkY joue des tournois réservés aux élites, on considère tout d’abord qu’il est Français ou l’a-t-on déjà assimilé aux Daniel Negreanu et Jason Mercier comme une Star internationale avant tout ?
Est-ce que l’on s’est vraiment retrouvé en Lucien Cohen lorsqu’il a remporté l’EPT Deauville ?
Est-ce que les résultats de Jean-Noël Thorel dans les High-Roller ou justement la 3ème place de Bernard Guigon (juste derrière Lucille en 2012) auraient fait le moindre bruit s’ils n’avaient pas été Français ?
Est-ce qu’à cause de sa personnalité si complexe et qu’il cultive avec tant de passion, on arrive encore à s’identifier à Roger Hairabedian, même lorsqu’il claque d’incroyables performances ?
A l’image du titre WPT de Yorane Kérignard, le bracelet WSOP décroché par Pierre Milan cet été n’a pas eu l’écho mérité. Mais a posteriori, voir le jeune Français prendre le micro au Rio pour «dédicacer» sa victoire à son ennemi du circuit, est une attitude qui laisse perplexe.
Assister à des deepruns tricolores alors «inconnus» dans un EPT est quelque chose de légion, et heureusement d’ailleurs. Mais lorsque l’un d’eux crie au scandale parce qu’aucune room ne lui a proposé de contrat Pro entre son Day 3 et son Day 4 de la veille, là aussi on reste perplexe.
Tout cela pour expliquer qu’aux Jeux Olympiques ou à la Coupe du Monde, on est « obligé » de « subir » l’équipe que l’on doit supporter : notre pays.
Dans une discipline individuelle, d’autres paramètres devraient entrer en ligne de compte.
Le poker est un monde où le brassage ethnique se fait magnifiquement. Tous se mélangent avec tous. Pourquoi, pour une fois, le critère de la nationalité n’aurait aucune incidence quant au choix de ceux que l’on aimerait suivre ?
Et cette question est finalement un problème très temporaire car dès que le field reprend une taille humaine, on a alors le temps de s’intéresser à tous : TOUS les Français et TOUTES les Stars !
TM.
PS : N’oubliez pas de vous qualifier pour l’Unibet Open de Cannes – 18 au 21 septembre.